C’est bien mais j’aime pas.

J’aime pas.
C’est bien mais j’aime pas.
Elle vient de m’assener ça comme cela. J’ai plus de vingt heures de peinture dans les bras, la peau brulée par le soleil, les yeux saturés par la blancheur si immaculée de ce mur.
Elle n’aime pas.
Je souris.
Franchement, pour le coup, moi, je vous aime bien. La première à me balancer en pleine poire, un uppercut verbal de cette puissance. Net. Catégorique. Tranchant.
Trop blanc, trop pastel.
Elle n’aime pas. C’est girly, je sens que cela la gêne. Elle est une femme qui décide, qui sait ce qu’elle veut, ce qu’elle désire, ce qu’elle ordonne. J’aime sa position. Le choix des mots. Le ton qu’elle emploie.
C’est bien. Je n’aime pas.
Et oui. Mais vous êtes là, à coté de moi, à regarder. A vibrer. A apprécier quelque chose que vous n’aimez pas. Et encore plus, à me le dire d’une traite, moi, le gus qui s’escrime à trouver l’équilibre de cette œuvre. L’homme qui l’accompagne, un brin gêné, un brin désinvolte, me regarde, un sourire goguenard d’excuses aux lèvres :
« Ne vous inquiétez pas, elle est dans une de ses phases … »
Et alors.
C’est chouette qu’elle n’aime pas. Moi, j’en savoure tout le velouté, toute la saveur de sa fin de non-recevoir. J’ai presque envie de faire encore plus pastel, encore plus blanc, jusqu’à en faire disparaître cette figure, poésie de la couleur, de la douceur.
Effacée par un non catégorique.
Je ris. Des mots surgissent et forment une trame. Vous m’avez marqué, madame. Un défilé constant sur ces quelques jours de performances. Et c’est votre éclat, ce refus net qui me laisse un souvenir fort.
C’est bien mais j’aime pas.
C’est bien mais j’aime pas.
Tellement important.
Moi, voyez-vous, j’aime toucher ceux qui ne s’y attendent pas. Ceux que j’imagine loin de l’art. « Bordel, c’est gavé beau …», l’accent rocailleur de la Cité. Ou bien ce jeune grunge à chats, envoyant paître ses potes punks à chiens, juste pour me dire les larmes aux yeux, qu’il aime l’art, que cela le touche au-delà de tout, qu’il ressent une émotion intense à voir ce profil sculpté et peint, tendre. Cela me laisse pantois. Je ne peux que recevoir ces cadeaux, leurs cadeaux.
Vous savez, madame, je cherche, je suis sur le chemin de la Beauté, de ce qui fait vibrer l’instant. Rendre belle toutes émotions, faire de la chair le saint-Graal, aimer l’animal puant que nous sommes.
Et vous, madame, vous m’avez touché. De cette manière si surprenante. Si opposé à ce besoin de plaire.
Vous n’aimez pas. Et vous êtes venue me le dire.
Merci.
Vous me renforcez. Me rendez encore plus homme. Plus humain et plus pur. Vous n’aimez pas sans la moindre once de dédain. C’est  catégorique, direct, franc et fort.
N’aimez pas mon travail longtemps, madame, votre pureté et cette franchise, si exquise, me font avancer.
Cet éclat d’émotion, vous m’en avez fait cadeau.
Vous n’aimez pas.
Je vous ai touché.
Vous n’aimez pas.
Et c’est bien.

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