Entre deux articles de Sud-Ouest, entre Charlie et Daesh, une toute petite question existentialiste est apparue sur le plateau. Question impertinente et poétique. Lancée par provocation au cours d’une discussion.
Mais qu’est-ce qui fait que l’on est artiste ?
Sérieusement, vous ne vous l’êtes jamais demandé ?
Jamais dit.
Après un repas amoureusement préparé, « Mon dieu, je suis un artiste ».
Ou une photo de paysage et de nombrils. Réussie bien sûr. « Ca y est, j’en suis un ! ». 350 Likes après.
C’est une vaste question, en effet.
De vies et de morts.
Il me revient en mémoire une caricature sans prétention, d’un peintre rupestre en pleine action et d’un apostat lui demandant : « et sinon, t’as un vrai métier ? Du genre chasseur ? Cueilleur ? ».
Entre frustration du métier, ironie du public, cynisme d’auteur, mais bien sur que j’ai un vrai métier. Bordel.
D’ailleurs, je peins, je dessin, je sculpte, j’écris, je photographie, tu crois donc que c’est par pur plaisir que je passe mes jours et mes nuits, mon week-end devant un chevalet, l’établis, le bureau ?
La question s’éternise et un ange passe.
Mais qu’est-ce donc que ce foutu métier ?
De quel droit puis-je m’attribuer ce mot, à haute valeur associée. Que seul, les plus grands ont gagné à la sueur de leurs vies ?
Question de vies.
Question de morts.
Mes mains sont mes armes.
Mon œil, le vie-seur.
Que l’on me coupe les bras, et je produis encore.
Mes mains ? Je suis mort.
Remarque, il me reste ma langue.
Funky idée, que ces dernières lignes.
Les mains, l’œil, la langue.
Deux organes, deux membres.
Trois sens.
J’y reviens encore. Les sens.
Depuis quelques pensées, c’es une préoccupation importante. Les sens.
Et l’association de ces trois « organes » m’en donne deux. Toucher. Voir.
En plus de ce qui fait de moi un être. La langue.
Langage.
Ce qui m’autorise à parler. M’exprimer.
Intimement, mon nombril intérieur en frissonne.
L’art est un langage qui s’exprime à travers le sens.
Image, culinaire, auditif, que sais-je.
Mais alors, tout le monde est un artiste !
Arrogance suprême de créateur. Je ne crois pas.
Faut bien que je défende mon beefsteak quand même, M’sieur, Dame.
Il existe plusieurs lectures possibles de ce tout petit mot. De cette souris accoucheuse de mont Saint-Victoire.
Prenons le juridique.
Je paie des taxes, des impôts sur la création. L’art, valeur que je produis, est fiscal.
Une charpente, des charpentiers. Un champ, des fermiers. Un contrôleur, des impôts.
Alors de l’Art, des Artistes. Non ?
Et je suis tout de même attaqué tandis que je clame, haut et fort :
« Moi, dans la vie, je suis artiste … ».
Je paie à la Maison. Ma déclaration l’annonce.
Merci Marianne, Je suis artiste.
Et cela ne suffit pas dans la psychologie de monsieur Toutlemonde ; parce qu’il parait que c’est présomptueux de le dire : « je suis artiste ». Et oui, je ne décroche jamais.
C’est une longue évolution, un processus lent qui m’autorise à me le dire.
Ah tiens, autorisation ?
Même moi le dit.
Par le passé, j’ai exploré le nombril, offert des cachous, et j’en passe.
Qu’est ce qui fait que l’on est artiste ?
Simplification de ma pensée trentenaire. Bourrée de certitude. Arrogance de se croire différent. Résultante de traumatismes enfantins. Merci Freud.
La faiblesse de l’esprit qui en découle offre une force, une armure.
Une pensée différente. Le loup blanc. Vilain petit canard s’égosillant attirer l’attention.
Ô oui, le besoin vitale de briller dans l’œil de l’Autre.
Tu aimeras ton prochain qu’Il dit. Mais c’est un commandement divin que l’Art. Nous autres artistes vous aimons profondément. Sans vous, je perds l’intérêt du nombril, de vous regarder vivre.
Je veux partager.
Et, cerise sur gâteau, une exagération sensorielle. Hypertrophie organique. En sus d’une incapacité linguistique.
Mon art est le meilleur des psys.
C’est mon langage à travers mes sens et les méandres de mes neurones.
Influx nerveux courant de mes doigts à votre cerveau.
Je suis artiste parce que je vous offre une partie de jambe en l’air.
Un climax organique sans un seul doigt porté sur vous.
Et par-dessus tout, je suis Artiste puisque j’ai peur.
Peur de mourir.
Je suis immortel. Seul l’Art me l’offre.
C’est en cela que l’on devient artiste.
Les émotions primales.
Les forces incompréhensibles de notre corps.
L’inconnu qu’est la Vie.
Questionnement qu’est la Mort.
Je bouge.
Je respire.
Je vie.
Je crée.
Et la Lumière fut.