Il est vingt-deux heures. Deux heures avant minuit. Idée farfelue remontant à la surface. Deux heures avant minuit. Avant le changement de jour.
Je viens de me remonter l’une des rues les plus longues de ma ville. Avec en tête, comme souvent un texte. Avec des mots qui valsent, s’assemblent et tournent sous mon crâne.
Un assemblage de lettres, qui au final, ne rejoindra pas le papier. Seulement l’idée, l’émotion, qu’ils détiennent. L’esprit de ce que je cherche à exprimer depuis quelques jours.
Une sensation.
Une brûlure.
Cette démangeaison qui démarre de l’épaule pour aller vers les doigts. Energie cherchant à se libérer par tous les moyens possibles. Encore une fois, c’est la plume qui domine. La peinture demande une place, une liberté, que l’écriture ne nécessite pas.
L’écriture, chez moi, est un coup de poing, un coup de sang, un scalpel, qui déchiquette pour mieux reconstruire la sensation. L’émotion. Mon écriture est mélancolie de l’âme.
Mélancolie de l’âme.
Mélancolie.
Tiens, je ne l’ai pas vue venir celle-là. Joie de l’écriture automatique. Aligner les mots les uns aux autres, sans chercher un fil conducteur. Libération.
Je suis heureux. Et mélancolique.
Je suis mélancolique et heureux. Le temps peut-être. L’époque.
Antinomie constructive de mon être.
Je sens une étape importante se jouer autour de ces réflexions, autour de mes pages. Je sens le courant m’emporter. Et le monde, diriger vers un je ne sais où.
Je soupire après une vie que je ne peux ressentir. Que je ne peux avoir. Du moins, peut être.
Je soupire après un mythe, un parfum, que je n’ai pas. Après une âme que je veux partager.
Je connais parfaitement le fond du problème. Il est relationnel.
L’écran se lève, la toile devient noire. L’oubli de l’image, impression de la rétine, magie de l’écran, se joue. Le retour fut en paix.
Et la brûlure est toujours là. Mes doigts pianotent, cherchant la plume d’écriture, cavalent derrière le mot juste, celui qui arrangera tout. Mes doigts me poussent encore une fois à ne pas décrocher. A triturer, cette bribe d’émotion. Cette fois, ce sera une heure entre mon carnet, ma plume et moi-même.
Quelques mots d’un poème tournent et retournent, telle une hirondelle, alternant saut de l’ange et loops.
Je suis seul. Seul, moi et mon âme.
D’un autre ou de moi. Je ne sais plus. Qu’importe.
Ils représentent mon sentiment, proche de mon ressentiment.
La mélancolie, trait de mon âme, me va bien. J’aime ma solitude. J’aime le temps qui passe. Ne rendre compte de rien, ni à personne. Liberté suprême.
D’être en dehors du temps. Du système.
D’observer, d’étiqueter, de décortiquer la vie des autres. D’écouter leur lumière, de voir leurs paroles aller de l’un à l’autre. Ping-pong verbal, émotionnel d’un corps à un autre.
Corps à corps sensuel du sens auditif.
Et pourtant, je soupire aussi de partager. De cette envie.
« Le bonheur n’est complet que partagé ». L’un des vers les plus importants de ma vie. Guide impromptu glané sur les bancs d’une toile.
Nous sommes une espèce grégaire, d’autant plus pendant cette ère ultra-connectée. Ou tout un chacun zieute par-dessus l’épaule du voisin, de son ami.
Théorie de l’herbe verte.
Mélancolie et bonheur, dichotomie de mon être.
Je n’échappe pas à mon temps. Je me jette en pâture. Étalant ce qui devrait se présenter sur un canapé d’une antichambre consacrée au mot.
Je vie, je suis heureux. J’aime ce que je fais. Ce que j’apporte, ce que j’enseigne, bien malgré moi.
Faire vivre et ressentir. Mon leitmotiv. Caresse du présent. Oubli du passé, du futur.
Crise de rire. Odeur de thé.
Ecouter les autres.
Ecrire au milieu des autres. Capter leur tranche de vie. J’annote mes pages pour eux. Pour moi. Ambivalence de ma création.
En plus d’exhibitionniste, un poil voyeur, le garçon.
Mon matériau, c’est l’Homme. L’Autre, la Femme.
Nos émotions.
Psychiartiste.
Je suis nombriliste.
Moi pour explorer Ça.
Accepter et vendre moi-même.
Ecrire dans un bain de foule, dans un bain de phéromone. Où le bruit de la vie résonne. Où, j’en perds le fil. Ce fil d’Ariane, ligne rouge d’écriture.
Où les mots ne font plus que s’enchaîner. Apportant de nouvelles idées. Déjà connues. Et n’émergeant des limbes de l’Inconnue que pour une ode à la mathesis du corps.
Ecriture automatique de ma mélancolie.
Langage des sens.
Des cinq.
L’Art exprime l’irréel, l’impalpable, transforme le magma du chaos de nos pensées en une invocation de l’ouïe, de vue, de toucher. Où le goût arpente le chemin de l’odorat.
Chemin solitaire, solidaire des Autres. Dichotomie antinomique.
J’aime les bains d’écriture. De voir le bruit, de goûter le mouvement de corps autour de ma bulle. Je suis seul.
Ma solitude résonne. Tonnant d’une voix d’alto.
Et je l’aime.
Tout autant que la chape de plomb de cette mélancolie accompagnatrice.
Je suis en paix.
Je ne veux pas me lier.
Je veux vivre. Partager.
Et les deux se repoussent.
Division, opposition, une nouvelle fois.
Moi qui ne tenait jamais de journaux intimes, voilà que j’étale mes ébats émotionnels à tout-un-chacun.
Ah, tiens, quel étrange et beau mot que celui-là.
Ébat.
Du coq à l’âne, c’est ce que je ressens en sculptant.
Artiste, celui qui aime le corps à corps. Qui aime aimer, qui aime l’amour.
Flux et reflux. Mélange de suavité.
Celui qui exprime le sexe. Éros.
Pauvre moyen que la création. Avidité du plaisir, du sexe, de la pulsion ?
L’art n’exprime qu’un sens ou deux. Parfois trois, jamais plus de quatre. Le sexe, l’Amour ? Chimie orgasmique des sens. Exacerbation des nerfs sensitifs, sublimation de tous les sens jusqu’au paroxysme. Le climax. L’invasion neuronale de stimuli étranges, dépendant de l’Autre. De ce courant électrique. Chi à la mesure de la complicité corporelle.
J’offre, tu prends.
Tu offres, je prends.
Et c’est ce que crée l’Art.
Sublimation de sens. En moindre mesure qu’un culbuto. L’Art, une partie de jambes en l’air ?
Oh oui, que dis-je.
J’offre, vous prenez.
Et vous me nourrissez en retour.
Mouvement.
Émotion.
Opposition.
Mon chemin de croix. Quelle grande baiserie que mon esprit abrite.
J’atteins l’un des points G de ma promenade d’hier.
L’Art est la petite sœur de l’érotisme de l’âme.
Parent pauvre de l’émulsion émotionnelle.
Et le deuxième G. Ce fameux deuxième.
Ma mélancolie. Diktat de bonheur non-partagé.
Je vois la question finale. Pas vous ?
Je suis, je vis comme un artiste. Mon métier est Art. Ma pensée n’est remplie que de ça.
L’émotion exaltée son paroxysme. Climax visuel, tactile et olfactif.
J’exprime mon bonheur.
J’exprime ma mélancolie.
Et si je le partage ce bonheur, m’en restera-t-il suffisamment pour exhumer vos sensations cachées, pour votre Présent redécouvert un instant.
Saurai-je ne pas aliéner ma solitude, maitresse créative, en liant une autre planète à la mienne.
J’ai peur de la panne sèche.